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2025–2026

Parutions récentes et à venir 


en cours

Coordination éditoriale Trou Noir no.4 – Marseille, désirs en désordre, mai 2025
Monde de l’art à l’âge du capitalisme, dir. Florian Gaité, Presses Universitaires de Vincennes, 2025
Traité pour une civilisation postcapitaliste (titre provisoire), avec Emma Bigé, ouvrage collectif, dir. Jérome Baschet/Laurent Jeanpierre, La Découverte, 2025/2026

Rencontres récentes et à venir 
en cours


Festival “Agir pour le Vivant”, 
Edward Carpenter, des rêves d’une autre nature,
lecture-conférence avec Simon Guélat (reste de la programmation à venir)
Arles, 25 août et 27 août 2025

Festival “Les Résistantes”, 
Normandie, début août 2025

Rencontres récentes passées.


31 mai, Désirs d’archives avec Hélène Giannechini, Festival “Oh les beaux jours!”, Conservatoire Pierre Barbizet, Marseille
29 mai, Lancement revue Trou Noir Marseille + Uncivilized collective, La Dar, Marseille
28 mai, Soirée Fantômes avec Lazare Lazarus, Felixe Kazi-Tani et Hélène Giannechini, L’Imprimerie, Marseille
15 mai, Saint Derek, une soirée avec Derek Jarman avec Julou Dublé, Librairie Zoèmes, Marseille
19 mai, Archives minoritaires, istitutionalisation et regénération des luttes avec Olivier Marboeuf et Véronique Clette-Gakuba, CAPC Bordeaux.
20 février, Librairie Michèle Firk, Montreuil 
24 février, Conférence inaugurale, Mois du Genre, Université d’Angers
27 février, Présentation avec Jef Klak, Lait de Vache, L’Imprimerie, Marseille


Un Manifeste Gay de Carl Wittman, suivi de Contrechant masqué

Méconnu en France, le « Manifeste gay » de Carl Wittman est l’un des textes fondateurs du militantisme gay et queer états-unien, écrit juste avant les émeutes de Stonewall en 1969. Traduit pour la première fois en français, cette réflexion radicale sur l’essor des mouvements de libération sexuelle théorise la nécessité d'une alliance avec d'autres luttes sociales (droits civiques, féministes, pacifistes). Un peu plus d’un demi-siècle plus tard, l’auteur et militant Cy Lecerf Maulpoix revient sur l’importance stratégique de ce texte pour l’époque et en tire un « contre-chant », réflexion poétique sur son propre parcours pédé et les enjeux politiques qui le balisent.

Traduction  Essai  Texte poétique

Editions du Commun
Date de sortie: octobre 2023
150 pages / 115 × 175 mm
15,00 euros
ISBN 979-10-95630-66-1

Voir le site de l’éditeur 

Extraits

Un manifeste gay de Carl Wittman

San Francisco est un camp de réfugié·es pour homosexuel·les. Ayant fui de tous les coins de la nation, nous y avons trouvé refuge, comme tous·tes les réfugié·es, non pas parce que la situation est exceptionnelle ici, mais plutôt parce qu’elle était terrible là-bas. Par dizaine de milliers, nous avons quitté nos petites villes où le fait d’être nous-même menaçait notre travail et tout espoir de mener une vie décente. Nous avons fui les flics qui nous faisaient du chantage, les familles qui nous rejetaient ou se contentaient de nous tolérer. Nous avons été viré·es de l’armée sous le bruit des tambours, expulsés des écoles, de nos jobs, battus par des voyous et la police. Et nous avons formé un ghetto afin de nous protéger. Car il s’agit bien plus d’un ghetto que d’un territoire libre puisqu’il leur appartient encore. Les policiers hétéros nous surveillent, des politiciens hétéros nous gouvernent, des patrons hétéros nous forcent à nous tenir à carreaux, l’économie hétéro nous exploite. Nous avons prétendu que tout allait bien parce que nous ne savions pas comment changer la situation. Nous avons eu peur.  L’année passée a vu un véritable essor des idées et des énergies en faveur de la libération gay. Nous ne savons pas vraiment comment tout cela a commencé. Sans doute avons- nous été inspiré·es par le peuple Noir et son mouvement de libération. Nous avons appris à arrêter de donner le change grâce à la révolu- tion contre-culturelle8. L’Amérike9 dans toute sa laideur a refait surface avec la guerre et nos dirigeants nationaux. Nous sommes désormais dégoûté·es par la qualité de nos vies de ghetto. Là où se logeaient autrefois la frustration, l’aliénation et le cynisme, nous constatons de nouvelles caracté- ristiques parmi nous. Nous sommes plein·es d’amour les un·es pour les autres et nous le montrons. Nous sommes empli·es de colère en raison de ce qui nous a été infligé.

L’écriture du manifeste Dater avec exactitude le moment d’écriture ou de la première publica- tion du manifeste n’est pas aisé. Si plusieurs sources semblent s’accorder sur une rédaction antérieure aux révoltes de Stonewall aux mois d’avril et mai 1969, l’évocation au sein du texte de sa participation à des réunions menées par des collectifs de libération gay et d’événements politiques ultérieurs semblent indiquer que le texte a circulé pendant une grande partie de l’année, et possiblement réécrit ou amendé après les émeutes new- yorkaises (57). Selon Allan Troxler, une première version du manifeste aurait tout d’abord été distribuée dans la rue par Carl lui-même à San Francisco, avant de circuler sous le manteau et d’être publiée par différents journaux comme le Chicago Seeds, ou le Harvard Crimson en février 1970 (58), ou encore par la cellule marxiste Red Butterfly du Gay Liberation Front de New York quelques mois plus tard, assorti d’un court texte critique complémentaire (59). Il n’en reste pas moins que l’écriture du manifeste intervient alors que des collectifs et une sous-culture gay existent déjà depuis de nombreuses années. Si les révoltes de Stonewall sont souvent présentées historiquement comme le début des mouvements LGBT+ sur le territoire états-unien à l’orée des années 1970, l’existence de communautés, de socio-lectes et d’organisations homosexuelles ou homophiles est attestée depuis le début du 20ème siècle, et révèle le développement et la structuration progressive de multiples écosystèmes souvent concentrés autour des grandes métropoles.  Comme le rappelle George Chauncey, les cultures homosexuelles, notamment masculines, jouissent d’une relative visibilité dans les grandes villes américaines au début du 20e siècle (60). Néanmoins, la fin de la Seconde Guerre mondiale, la « peur rouge » et la lutte anticommuniste des années McCarthy se conjuguent à l’exacerbation d’une panique morale et d’une chasse aux sorcières dirigée contre celleux que l’on catégorise comme des « pervers sexuels ». La criminalisation des relations homosexuelles dans la quasi-totalité des états américains se manifeste également à travers le renvoi de soldats au sein de l’armée américaine. L’établissement de « consignes de sécurité » dans les institutions fédérales dressant une typologie d’individus et de comportements « incompatibles » avec l’exercice d’une fonction institutionnelle – notamment en raison d’une possible exposition et vulnérabilité vis-à-vis de l’ennemi communiste- imposent la discrétion. Cette chasse aux gays, aussi renommée « terreur lavande », « péril mauve » provoque de nombreux licenciements dans les institutions gouvernementales, et institutionnalise l’homophobie dans le cadre professionnel. Le FBI intensifie également sa surveillance sous l’égide de son directeur, Edgar J Hoover – considéré par de nombreux historiens comme homosexuel refoulé – et l’institution policière multiplie les formes de harcèlement, d’arrestations et de violence. En réponse à ce durcissement, plusieurs organisations homophiles voient néanmoins le jour dans les années 1950, afin de rompre l’isolement des concerné.es, sans toutefois risquer de les exposer. Au départ, il s’agit principalement d’échanger, d’insuffler une prise de conscience de l’existence d’une oppression collective, et de réfléchir aux moyens de décriminaliser et de protéger les vies. Opérant d’abord dans un relatif anonymat, l’association lesbienne Daughters of Bilitis (1955) et la Mattachine Society (1950), dont les antennes fleurissent un peu partout sur le territoire tout au long de la décennie, posent et structurent ainsi les bases d’un militantisme stratégique. Une soixantaine d’organisations en faveur des droits gays et lesbiens (61) auraient existé dans différents états américains avant Stonewall (62). Ne serait-ce qu’à San Francisco, une dizaine d’organisations et de collectifs un peu plus informels voient le jour : The Coits, The Society for Individual Rights, Circle of Loving Companions, Citizen’s Alert, NLSU (National League for Social Understanding)...


57. Selon l’ouvrage de Gale Chester Whittington, auquel la biographe de Carl, Sasha Archibald, a eu accès, au printemps 1968 Carl aurait même confié à ce dernier avoir travaillé à l’écriture du manifeste pendant plus d’un an. Voir : Gale Chester Whittington, Beyond Normal: The Birth of Gay Pride, Booklocker.com, 2010, pp. 122, 131.
58. Voir par exemple la publication disponible en ligne : http://paganpressbooks.com/jpl/ CRIMSON1.HTM.
59. Plusieurs autres textes sont publiés par le site qui retrace l’histoire de la cellule marx- iste : http://paganpressbooks.com/jpl/TRB.HTM et http://paganpressbooks.com/jpl/ TRB-WITT.PDF
60. Voir : George Chauncey, Gay New York, Fayard, 2003.
61. Un exemple d’organisation homophile mixte du point de vue des assignations racialisantes est l’association Knights of the Clock, créée à Los Angeles à la même époque que la Mattachine Society. Créée Merton Bird, un homme gay noir, et son partenaire, W. Dorr Legg, elle proposait notamment plusieurs services sociaux : accompagnement vers l’emploi, le logement ainsi que des événements culturels.
62. Voir : « Research Guides: LGBTQIA+ Studies: A Resource Guide : Before Stonewall: The Homophile Movement » Before Stonewall: The Homophile Movement – LGBTQIA+ Studies: A Resource Guide – Research Guides at Library of Congress, guides.loc.gov/ lgbtq-studies/before-stonewall




Contrechant masqué 


Depuis quelque temps, le langage de l’identité est devenu difficile
à manier.
Comme s’il était un peu gluant ou un peu trop dur.

Je ne suis évidemment pas le premier à remarquer que lorsque l’identité est saisie, capturée sous une forme commerciale
ou autoritaire,

lorsqu’elle se sédimente pour se prétendre naturelle, elle ressemble souvent à une cible de tir.

À rebours de sa force légale et de sa densité stratégique, je suis en quête d’un autre usage
de matérialités plus liquides ou abrasives,
d’autres souplesses de conscience,

Mais peut-être plus encore,
je suis en quête d’une intensification.

de flux et reflux susceptibles de conférer à nos masques de survie,
une sinuosité plus glissante encore,
une autre manière de combat.

Du geste même de l’écriture d’un « manifeste », je ne conserve que l’urgence de l’élan
du toucher
de sécréter d’autres désirs entre les vies,

les êtres que j’aime ou que j’ai aimés.

Je me libère volontairement de toute prétention programmatique
ou totalisante.

Notre condition est celle du fragment, de l’écho et de la répétition,
la modalité même des récits collectifs troués par l’expérience de l’extinction.

De l’identité gay, je retiens l’ardeur d’une « ancestralité » de lutte en partage,
de panser des intimités et affections obstruées,
de creuser les entrailles du présent pour en exposer la violence.

Je retiens la volonté de suivre un chemin politique en clair- obscur
afin de suivre à la trace,
sans mépris ni glorification, une odeur persistante de soufre et de honte

- espérant y produire de nouvelles zones de flirt, de solidarité et de rage politique.

Il me faut revenir en arrière.